Paras sur Carentan !

A l’instar de Sainte Mère Eglise, Carentan a vu un certain nombre de parachutistes tomber sur la ville aux premières heures du 6 juin 1944. Principalement des hommes du 506th PIR. Edward David Shames est l’un des derniers grands héros de Carentan encore en vie. Ed s’est élevé en quelques mois du rang de simple soldat à celui de 2nd Lieutenant durant la guerre, obtenant une promotion sur le champs de bataille à Carentan, pour ses actions aux ponts de Brévands, et aussi dans le secteur sud de Carentan connu sous l’appellation de Bloody Gully. Né un 13 juin (1922), il a bien cru sa dernière heure arrivée… un 13 juin 1944. Pour toutes ces raisons, Carentan tient une place particulière dons ses souvenirs. C’est aussi l’endroit où il atterrit vers 1 heure 40 le 6 juin, juste devant l’usine Gloria, dont une partie des bâtissent brûlait.

Edward David Shames est né à Virginia Beach, Virginia, un 13 juin 1922, d’un père Moldave et d’une mère biélorusse. Comme ses frères, et beaucoup d’américains, dès l’attaque japonaise sur Pearl Harbor, il rêve de s’engager. Ed tombe sur une pub dans un journal national pour une toute nouvelle arme, les paratroops. Il est envoyé à Camp Lee, puis à Camp Toccoa en Georgie avec ordre de se présenter au 506th Parachute Infantry Regiment commandé par le Colonel Robert Frederick Sink, dit « the Fox », un West Pointer et pionnier de la toute jeune US Airborne. Ed est versé au 3ème bataillon de Robert Lee Wolverton, Compagnie Item, comme simple Private. Wolverton remarque vite son aptitude à s’orienter, lire les cartes et reproduire la topologie des lieux. Il l’attache à son équipe de S-3 du bataillon. C’est à ce titre que quelques jours avant le Jour J, Ed se verra confier la tâche de réaliser les maquettes les plus détaillées possibles des zones de parachutage. Au moment d’embarquer pour le D Day, Ed a la mauvaise surprise de s’entendre dire que sa place dans l’avion de Wolverton a été donnée à Ward Smith, journaliste au « News of the world ». Une décision qui lui sauve probablement la vie puisque Wolverton et la plupart des passagers de ce stick seront soit tués ou capturés. A 1 heure 40 le matin du 6 juin, Ed atterrit devant l’usine Gloria à Carentan. Il suite le bassin à flot jusqu’à l’écluse et parvient à traverser la Douve en compagnie de quatre hommes. A travers les marais, il rejoint la Barquette où il retrouve le colonel Johnson, boss du 501st PIR,  puis la ferme Fortin transformée en infirmerie de campagne, et de là ce qu’il reste du 3/506th aux ponts de Brévands. Il va y combattre toute la journée des 6 et 7 juin avec le Capitaine Charles Shettle, tirant sur les allemands de l’autre côté de la Douve avec un mortier auquel il manque l’embase. Il assistera impuissant aux bombardements et à la destruction des ponts par les P 51 Mustangs du 353rd US Fighter Bomber Squadron. Le jour de son 22 ème anniversaire, le mardi 13 juin 1944, il est pris dans l’infernal tourbillon des combats au sud de Carentan, face à la contre attaque allemande dans le secteur de Bloody Gulch. Il va de nouveau s’illustrer par sa capacité à analyser les situations stratégiques de combat, et son courage au feu pour communiquer avec les postes de commandement. Pour l’ensemble de ses actions durant cette première semaine de l’invasion à Carentan, il est promu 2nd Lieutenant, et on lui remet une Distinguished Service Cross.

La Barquette et Hell's Corner

Les Geronimos à Carentan

Premier régiment parachutiste formé à partir d’une page blanche à compter de février 1942 à Toccoa, le 501st PIR du Colonel Howard Ravenscroft Johnson décolle des aérodromes de Merryfield et Welton le 6 juin 1944. Son Regimental Headquarters (commandé par le Captain William G. Burd) et le premier bataillon du Lt Colonel Robert C. Carrol, doivent s’emparer des écluses de La Barquette sur la Douve. Le second bataillon du Lt Colonel Robert Ballard doit détruire le pont N°2 sur la Douve et s’emparer de St Côme du Mont. Le troisième bataillon du Lt Colonel Julian J Ewell doit atterrir sur la Drop Zone « C » et assurer la sécurité du quartier général de la 101st Airborne à Hiesville. Malgré les mauvais largages et dispersions des unités, la plupart de ces objectifs sera atteinte dès le 6 juin, à part les missions du 2/501st bloqué dans sa tentative d’approche de St Côme du Mont dans le secteur Les Droueries-Basse et Haute Addeville.

 

 

La plus importante bataille du 501st sera livrée près de Pénême, à une intersection désormais appelée « Hell’s Corner ». Une force d’environ 150 paratroopers commandée par Johnson lui-même va annihiler l’intégralité du premier bataillon du 6ème Régiment de Fallschirmjaeger commandé par le Hauptmann Emil Preikschat. Johnson recevra la Silver Star pour ce fait d’armes. Saint Côme du Mont sera finalement prise le 8 juin, après que l’étreinte des paras allemands sur le 2/501st ait été desserrée par l’intervention des gros canons de la Navy (USS Quincy) tirant depuis le large. Le 9 juin, le 501st se regroupe près de Vierville, et traverse la Douve à Brévands le 10, rejoint Catz et se prépare à encercler Carentan par Saint Hilaire Petitville. Le 12 juin, le 3/501st attaque à la baïonnette la Colline 30 fortement défendue au sud de Carentan. Les survivants effectuent la jonction avec le 506th PIR venu de l’ouest. Le 501st participe le lendemain aux terribles combats pour repousser la contre attaque de la 17ème Panzer grenadier SS. Le 501st recevra la Presidential Unit Citation.

Johnson arrive à La Barquette aux premières lueurs de l’aube le 6 juin en provenance du Château Bel Esnaut où il a atterri sous le nez de sentinelles allemandes. Il a environ 150 hommes avec lui, provenant des 1st, 2nd Bn et HQ, avec quelques « stragglers » du 506th. A 200 mètres de l’écluse, il reçoit un tir de mortiers et de 88. En arrivant à l’intersection plus tard rendue célèbre sous le nom de Hell’s Corner, Johnson divise son groupe en deux, assignant une centaine d’hommes à la défense de Pénême, faisant face à Utah beach.

Un témoin raconte :

Le sergent Thomas M Rice décolle de Merryfield le 5 juin 1944, jumpmaster de son stick du 2nd Platoon, mortar section, C Company 501st PIR. Premier à sauter sur la DZ « D », il est surpris par la vitesse excessive de son C-47, et demeure accroché à la porte, corps pendant à l’extérieur de la carlingue. Il parvient à se libérer et atterrit avec ses potes Frank Figarotta et Tony Das, tous deux du mortar platoon au nord est d’Addeville. En tentant de traverser un canal, Das manque de se noyer, et la base du mortier disparait au fond de l’eau. Rice et Figarotta décident d’envoyer par le fond le reste du mortier, tube et trépied. Vite rejoints par d’autres troopers, Rice va identifier sa position, et rejoindre Major J. Allen, S-3 du 501st. En traversant Basse Addeville, Figarotta est tué d’une balle dans la tête. Rice et les hommes d’Allen rejoignent Johnson à La Barquette. Au soir du 7 juin, Rice est envoyé, en compagnie de Tony Das et George Zeberowski de l’autre côté de l’écluse de la Barquette, pour fouiller la ferme Parey, sur la rive sud de la Douve. Les trois hommes trouvent la maison de Claude Parey désertée. Ils installent leur position avancée dans le jardin, face à Carentan, adossée à la rivière. Ils ont devant eux un excellent champs de tir bien dégagé. Ils creusent leur foxholes en bordure du talus qui borde le jardin, et établissent un système d’alarme à une 50ne de mètres de leur position, en plantant des poteaux reliés entre eux par des fils de suspente de parachute auxquels ils accrochent des conserves pleines de clous ou de cailloux. Ils prennent ensuite place dans leurs foxholes, et se relient les uns aux autres par de la suspente attachée à leur poignet. A la moindre alerte, ils peuvent ainsi s’alerter mutuellement en tirant sur la suspente. Vers deux heures du matin, une patrouille allemande entre dans leur périmètre d’alerte et déclenche l’alarme improvisée. Rice, Das et Zeberowski ouvrent le feu simultanément avec leurs deux M-1 et leur Thompson. Plusieurs allemands sont touchés et se replient vers le sud. Ils laissent un des leur criant et gémissant sur le sol. Tout le restant de la nuit, l’allemand blessé va ainsi gémir. Rice n’ose sortir de crainte d’une ruse. Aux premières lueurs du jour, un des trois paras s’extrait de son foxhole et achève le blessé au couteau M-3. Il s’agissait d’un Fallschirmjaeger d’une trentaine d’années, que les paratroopers enterrent au bord du jardin, ses plaques d’identité bien en évidence sur une croix hâtivement confectionnée. « Ce fut une longue et misérable nuit, comme il y en eut tant d’autres avant que la guerre ne se termine » écrira Tom Rice dans ses Mémoires.

Hell's corner, the "Parley"

« Parley » est un terme anglais qui désigne une discussion entre deux belligérants sur les termes d’une cessation d’hostilité. Le terme vient du moyen-âge et est bien évidemment dérivé du mot français, « Parlez ».

Vers 15 heures, le mercredi 7 juin 1944, le Colonel Howard Ravenscroft Johnson, CO du 501st Parachute Infantry, tient son objectif premier, l’écluse de la Barquette. Il aperçoit venant du Nord Est et Sainte Marie du Mont, une importante force marchant nonchalamment à travers les marécages. Johnson a avec lui environ 250 hommes positionnés de par et d’autre de la Douve. Il met environ 150 troopers et 6 de ses 8 .30 cal en position le long de la petite route qui mène à Pénème, à une intersection qui prendra bientôt le nom de Hell’s corner. A 16 heures, alors que les allemands, vite identifiés comme constituant le 1er bataillon du Fallschirmjaeger Regiment 6 du Major Friedrich August Baron von des Heydte, ne sont plus qu’à 300 mètres, Johnson fait ouvrir le feu. Les allemands s’aplatissent dans les hautes herbes des marais, se planquent dans les canaux et fossés et subissent de lourdes pertes. Ils tirent une fusée qui déclenche sur les américains un tir de mortier venant de St Côme et de Carentan. Au bout de 30 minutes de fusillade intensive, Johnson sait qu’il tient les allemands à sa merci. Mais il sait surtout qu’il est dangereusement à court de munitions. A 6 heures 30 le matin même, le US Air Corps avait tenté de le réapprovisionner mais les bundles étaient tombés chez les allemands, et pas une balle n’avait pu être récupérée. Les fallschirmjaeger sont au nombre de 500. S’ils réalisent à quel point les troopers sont à court, ils peuvent par leur seul nombre déborder Johnson. C’est alors que les premiers cris de « Kamerad » proviennent des marais. De plus en plus d’allemands semblent vouloir se rendre. Johnson décide alors de négocier la reddition totale des fallschirmjaeger. Il prend deux soldats pour lui servir d’escorte et d’interprète. C’est là que l’histoire et les témoignages divergent.

Rapport et Northwood, les paras-historiens officiels de la 101st, désignent Pvt Leo Francis Runge, demo platoon RHQ 501 (Citoyen Canadien né en Autriche) et T5 William F Lenz comme étant ces hommes, tandis que William Critchell, 501st Trooper et auteur de l’histoire du 501, désigne Pvt Robert Nicolai et Norman Blanchette. Récemment, Birdlegs Dickson de C/326th Abn Engineer Bn a déclaré avoir accompagné Johnson dans ses tentatives de « Parley ». (Son casque serait au musée du DMC)

Runge-Lenz ou Nicolai-Blanchette…. Il semble que Johnson ait en fait réalisé deux tentatives de parlement. La première, avec Runge et Lenz avorte, alors que les 3 hommes ont progressé vers les allemands sous drapeau orange attaché au fusil de Runge. Les allemands stoppent leurs tirs, mais pas les américains, à la grande colère de Johnson qui a ordonné le cessez le feu. Les FJ restent planqués, puis ouvrent à nouveau le feu. Runge est touché au bras et Johnson à la main. La fusillade reprend de plus belle, et les trois « parlementaires » refluent en rampant vers les lignes américaines. 30 minutes plus tard, le feu baisse d’intensité et de nouveaux cris de « Kamerad! » mais les officiers allemands tirent sur ceux qui se rendent. Un allemand blessé parvient à rejoindre bras levés les lignes américaines. Johnson envoie Runge chercher un drap blanc dans une ferme à Pénème. Il le donne à l’allemand blessé à la main et lui dit de retourner vers ses officiers pour les informer qu’ils ont 30 minutes pour jeter casque et fusil, et avancer mains levés vers les forces américaines. L’allemand repart, et la fusillade reprend. 30 minutes plus tard, de nombreux allemands sans casque et désarmés commencent à se lever. Mais des tirs partent des lignes US. Tout proche de Johnson, un Lieutenant Owens s’applique à faire des cartons sur les allemands qui se rendent. Johnson lui botte le Q si fort qu’Owens s’étale de tout son long.

Il est 18 heures et pendant les 3 heures qui vont suivre, une longue colonne de prisonniers allemands va quitter les marais vers Pénème. 150 FJ ont été tués, 350 partent en captivité, 25 auraient réussi à rejoindre Carentan…. Johnson déplore 10 tués et 33 blessés. L’officier allemand commandant le 1er bataillon FJ Reg 6, le hauptmann Emil Preischkat s’avance. Il refuse d’être désarmé, en appelle à la convention de Genève, prétend vouloir négocier… Johnson le pousse dans la colonne de prisonniers avec un haussement d’épaules.

Dernier acte de cette journée du 7 juin. Alors que la longue colonne de prisonniers allemands occupe la petite route vers Pénème, un 88 tiré de Carentan tombe sur la route, tuant une 20ne d’allemands, ainsi que le Regimental adjutant du 501 PIR, le capitaine Altus Mc Reynolds.